Par Neon Dion

Texte extrait du n°41 de la Newsletter FTM (juin 1998), bulletin d’information états-unien pour les hommes trans et les travestis FTM.

Loren & Kayt, photographie par Loren Cameron, dans Body Alchemy: Transsexual portraits (1996)

Alors ! Si vous avez raté la conférence « Dialoguer pour construire des alliances Butch/FtM » du 28 mars, organisée à la bibliothèque municipale de San Francisco, vous avez effectivement raté pas mal de choses. Voici un aperçu des discussions qui se sont tenues dans la matinée, avant l’organisation d’ateliers en petits groupes. Tout d’abord, de super bénévoles étaient là pour vous accueillir dès votre arrivée dans le hall et la foule d’environ 200 participant·e·s se distinguait par sa diversité. La journée a commencé par plusieurs discours d’ouverture, puis les intervenant·e·s se sont réuni·e·s sur scène, sous les yeux d’un public attentif.
Adelle Morrison, qui s’identifie comme butch, était chargée de la modération. Elle a posé le cadre pour lancer les discussions ! La table ronde était composée de trois butchs et trois FTM. Marj Plumb est la première à s’être lancée. Elle a lu son article de mars 98 paru dans Girlfriends, et elle a déclaré, à propos de son identité butch : « Je ne joue pas un rôle, c’est ce que je suis. » Dans son article, elle aborde sa décision personnelle de procéder à une réduction mammaire, mais aussi le questionnement de son identité tout au long de ce processus. Elle a indiqué que pour elle, être masculine n’équivalait pas à être butch. « Je me suis rendu compte que le genre n’était pas un continuum quand j’ai connu une personne FTM qui ne pouvait être en aucun cas décrite comme butch… Lorsque je mets un gode, je me sens masculine. Je sais que certaines butchs ne ressentent pas ça, mais que certaines fems si. Je ne sais pas ce que ça veut dire ! » Elle a ajouté que de nombreuses questions restent sans réponse, et que ça ne la dérange pas.
Ce fut ensuite le tour de Marcelle Cook-Daniel, qui s’identifie comme butch/FtM/métamorphe/etc. transsexuel. Il a raconté son histoire, qui a commencé par ce qui a été un tournant pour lui quand il avait 11 ans : l’interview de Christine Jorgenson. Marcelle a déclaré ne pas se sentir complètement masculin. Il a déclaré qu’il n’était plus vu comme une menace (par opposition à quand il était une butch), mais comme un mari d’âge mûr de quartier résidentiel, ce qui donne une sensation d’invisibilité. Il a abondé dans le sens de Marj : prendre la décision de transitionner n’a pas répondu à toutes ses questions, ça en aurait même plutôt rajouté, ce qui a suscité beaucoup de hochements de tête et de rires d’approbation dans la salle !

Leah Arellano s’identifie comme Chicana, écrivaine, enseignante, lesbienne butch. Se faire appeler « monsieur », c’est pour elle se confronter au regard de la société et de ses critères genrés, ces mêmes critères dont elle aime repousser les limites. Elle a raconté, en tant que butch, le calvaire qu’elle avait vécu lors de sa première communion. Elle nous a dépeint de façon amusante sa robe de communiante, amidonnée pour qu’elle tienne bien droite toute seule… Les rires ont redoublé !

Stephan Thorne s’est présenté en déclarant qu’en 1970, il s’identifiait comme lesbienne butch et qu’il était sorti du placard comme FtM en 1993. Il nous a dit qu’il s’était toujours identifié au masculin, mais que le féminisme l’avait incité à désavouer sa masculinité. Il était entouré de lesbiennes féministes séparatistes ! Il a évoqué la façon dont le coming-out pouvait susciter un profond sentiment de deuil et de perte. Il a perdu plusieurs ami·e·s proches tandis que d’autres essayent de faire des efforts parce qu’i·els l’aiment. Stephan a mentionné la première Conférence Fem annuelle qui s’était tenue ici, l’année dernière, à San Francisco.
Il avait assisté à l’atelier fem/FtM et s’est souvenu de deux intervenant·e·s qui avaient fait part de ressentis très intenses. Une butch avait parlé du sentiment de perte et de trahison face à ses ami·e·s butchs qui transitionnaient. Une fem avait évoqué la sensation de rejet face aux butchs en transition, et déplorait la perte de butchs attentionné·e·s. Ces témoignages ont poussé Stephan à participer au dialogue Butch/FtM. Son vécu de femme butch a été rempli de souffrances, auxquelles s’ajoutait le secret honteux de son identité d’homme. Le séparatisme avait encouragé le rejet d’une part de lui-même. Il a expliqué que pendant son enfance, il a fait taire le garçon présent en lui, mais que celui-ci existe toujours bel et bien. En libérant ce garçon, il a enfin pu se sentir entièrement lui-même. Après plus de cinq ans, il continue de faire son coming-out à son travail de policier et dans le monde, car il pense que les transsexuel·le·s doivent être vu·e·s. Pour lui, l’invisibilité aggrave la honte et c’est pour ça qu’il est sorti du placard !
Après Stephan, ce fut au tour d’Ali Canon, qui s’identifie comme une butch juive, et qui est sortie du placard au début des années 80. Elle a parlé de son plaisir d’avoir un passing et a raconté plusieurs histoires. Elle croit aux alliances et elle aime que ces alliances remettent en cause la culture dominante. Selon elle, il faut nouer des alliances pour repousser encore davantage les limites du genre et de la sexualité.

10 choses
par Matt Rice
Dix choses que j’ai apprises à la conférence de dialogue Butch/FtM

1. Toutes les femmes sont gentilles.
2. Tous les hommes sont méchants.
3. Tous les hommes oppriment toutes les femmes.
4. Les butchs misogynes, c’est mignon.
5. Les pédés féministes sont des oppresseurs.
6. Les hommes doivent faire face à leurs problèmes non résolus avec les femmes.
7. Les femmes doivent nourrir leurs ressentiments envers les hommes.
8. Que je mette des hormones dans mon corps, ça te dérange personnellement.
9. Ma souffrance n’est pas importante.
I0. Je suis désormais un violeur.

Vous pouvez contacter Matt à l’adresse : mattblakk@aol.com

Enfin, ce fut au tour de Thomas M. Kennard, FtM de 48 ans, qui a entamé sa transition il y a sept mois. Thomas a raconté son histoire en déclarant que tout ce qui touchait au genre le mettait toujours en colère. Il a précisé que c’est au cours de ces deux dernières années qu’il a vécu le plus de hauts et de bas et qu’il est triste des pertes qu’il a vécues à cause de sa transition. Thomas s’identifiait simplement comme queer.

Une discussion ouverte s’en est suivie. La première question concernait la perception du genre, et si la transition FtM suscitait plus de questions ? Stephan a répondu qu’il continue d’en débattre avec lui-même ; il ne s’identifie ni comme femme ni comme homme. Il lui a été difficile de s’intégrer dans le monde des hommes, car il se sent différent d’eux. Avant de transitionner, il avait une place dans la communauté des femmes, une place qu’il a désormais perdue. Ne pas correspondre à ce qui est « normal » ou ne pas entrer dans une case ne lui pose pas problème, il ne veut pas que ces structures lui soient imposées. En tant qu’homme transsexuel, il vit au beau milieu d’une énorme ambigüité, et c’est une chose que peu de gens ont à gérer. C’est difficile, mais c’est enthousiasmant aussi.

Il a la sensation qu’il a été rejeté par sa famille, d’une certaine façon,
puisqu’il a été élevé par des féministes et qu’il a dû faire son coming-out à sa famille.

Adelle s’est adressée aux personnes butch, en leur demandant: « Les identités FtM soulèvent-elles des questions par rapport à votre identité butch? ? » Leah, gênée, a objecté qu’avec si peu d’infos, elle ne savait pas quoi répondre. Elle a également indiqué qu’elle aimait son corps féminin mais qu’elle trouvait que le corps masculin était très intéressant et qu’elle était ouverte à explorer et à s’autoriser à aimer tous les corps. Pour elle, on vient au monde sans limites rigides et la liberté peut ouvrir la porte à de plus en plus d’expressions de genres. Marj a répondu que ce sujet demeurait continuellement une question pour elle. Elle s’identifie profondément aux groupes féminins butch/fem. Après sa réduction mammaire, elle n’a pas l’impression d’avoir des seins, mais le reflet que lui renvoie le miroir entre en conflit avec ça. Elle accepte de mieux en mieux la confusion, qui lui semble être « comme si j’étais en transition, mais pas en transition vers quelque chose ». Ali a dit qu’elle se sentait en connexion avec les FtM… Que nous sommes lié·e·s autour de l’amour des femmes1 et autour de points communs.

Le commentaire suivant a été fait par quelqu’un évoquant une amie fem avec une barbe et qui se demandait si les hormones et/ou la chirurgie avaient à voir avec un choix esthétique chez les FtM. Stephan a répondu simplement que le mot « esthétique » était erroné. Plus tard dans la journée, Matt Rice a réagit en expliquant que malheureusement les gens ne respectent pas une identité qu’ils ne voient pas. Il est plus à l’aise sur le plan social de cette façon et dans son propre corps… Ça a fait une grande différence. Il a dit qu’il voulait également soutenir les trans qui étaient noho (not on hormones [pas sous hormones]) et/ou non-op (non opéré·e·s), et les butchs qui sont aux prises avec les mêmes problèmes.

Ensuite, une personne s’identifiant comme lesbienne butch a indiqué qu’elle était en colère car elle n’avait rien compris. Elle aurait aimé comprendre, mais elle n’y arrivait pas et ça la frustrait. Elle se sentait trahie, agressive, et dans une volonté de protéger les fems avec qui elle relationne. Elle a dit que la peur était le plus gros des problèmes. Et si eux (les FtM) regrettaient d’avoir quitté la communauté des femmes, pourquoi tourner le dos à la communauté ? Thomas a répondu qu’il n’emploierait pas le mot « regretter ». Marcelle a rétorqué qu’il n’avait pas l’impression de tourner le dos à la communauté, mais que celle-ci est (simplement) trop étroite pour lui. Ce n’est pas un choix de s’éloigner mais c’est un choix d’être qui il est. Quand sa mère lui a demandé : « Pourquoi tu fais ça ? ». Il a répondu « Je suis la même personne que tu as toujours connue, mais désormais je vis pour moi et pour qui je suis, pas pour toi. » Il se voit comme ayant un rôle de soutien respectueux, en voulant ne pas être sexiste. « Ma communauté est la communauté qui m’accepte pour qui je suis. » Stephan était d’accord et a indiqué qu’il actualisait qui il était vraiment et qu’il laissait son identité s’épanouir. Être lesbienne ou trans, c’est la même chose : ce n’est pas un choix, c’est une identité ! Un parallèle : il a la sensation qu’il a été rejeté/renié par sa famille, d’une certaine façon, puisqu’il a été élevé par des féministes et qu’il a dû faire son coming-out à sa famille. Et certaines personnes peuvent l’accepter et d’autres non.

Dans le public, Jed souhaitait signaler que tous les FtM ne viennent pas du milieu goudou et que certains s’identifiaient comme pédés, bi, hétéros, etc. Il a ajouté que pour diverses raisons, tous les FtM ne voulaient pas modifier leur corps, et qu’i·els s’appellent i·els-mêmes noho et/ou no-op. Il s’est demandé de quelles manières nos morphologies influent sur la façon dont nous nous identifions, en faisant remarquer qu’un grand nombre de goudous-garçons et goudous-pédales avaient un corps mince ou un torse plat. Est-ce que leurs corps indiquent qu’i·els sont déjà des garçons ? Il a fait remarquer que deux genres n’étaient de toute façon pas suffisants et qu’il voulait également que les pédés FtM se fassent entendre davantage.

Une autre participante a signalé l’invisibilité des lesbiennes racisées et a indiqué se sentir dans l’entre-deux : entre butch et FtM. Que le fait d’être prise régulièrement pour un homme, c’était comme ça, il n’y avait rien à y faire. Pour un homme Afro-américain, l’idée de transitionner n’est pas attrayante parce que les hommes Noirs sont mal considérés et mal traités. Elle a également parlé du fait de ne pas obtenir de reconnaissance de la part de sa propre communauté et de ne pas se sentir acceptée. Marcelle a répondu qu’il était complètement d’accord avec ses remarques.

Quelques réflexions en vrac abordées pendant la journée : Prendre la décision de transitionner n’est pas anti-femme, ni anti-féminin… Quelqu’un a indiqué que cet événement était historique et qu’il était prévisible que ce soit difficile… Marj a partagé un adage qui dit que l’acte le plus politique pour une lesbienne est d’élever un garçon – « Et maintenant on est là, à dire « Devinez quoi ? C’est un garçon ! » » D’autres ont dit qu’il fallait que cette conversation se poursuive : pitié, que tout le monde dialogue ensemble, pas seulement « nous et ell·eux ». Des listes d’inscriptions ont circulé spécialement pour ça. Stephan a terminé en déclarant que ça avait été une journée merveilleuse, une journée incroyable, et que nous avions hâte d’être à la prochaine !

Remarque : Je ne suis PAS écrivain, gardez en tête que c’est mon premier article. Si j’ai fait un faux pas ou dit des bêtises, faites preuve d’indulgence. Un ÉNORME merci à FtM Int’!, Harvey Milk et toustes cell·eux dont le travail et les actions ont contribué à rendre cet événement possible !

Merci, Dion. Et au fait les gens, pas obligé de se considérer comme un·e écrivain·e pour envoyer des contributions à la newsletter. On AIME les propositions de personnes qui n’écrivent pas habituellement, ou qui pensent qu’elles ne savent pas écrire2. -Ed.

Traduction par Camille, relecture par Iris et Otto-André Phil.

Notes de bas de page:

  1. rires transpédés ! ↩︎
  2. Ça vaut aussi pour les contributions sur le site de Trans Fag Trad : transpédés, exprimez-vous ! ↩︎