La contrainte à l’hétérosexualité chez les transmasc (et le chemin vers la pédalerie) – partie 1

Transmasc Comphet (and the road to faggotry)

Carte au trésor de pirate-pédale
Illustration de Loeiz

le 7 avril 2020

La contrainte à l’hétérosexualité, appelée la comphet ou l’hétéronormativité1Abréviation de « compulsory heterosexuality », concept de Adrienne Rich fréquemment traduit par « contrainte à l’hétérosexualité », aussi aujourd’hui souvent désigné comme « hétéronormativité ». Dû à l’origine anglo-saxonne du terme, « comphet » est parfois utilisé comme abréviation en français, nous avons donc choisi de garder l’abréviation pour fluidifier la lecture de l’article. Parfois traduit très littéralement par « hétérosexualité compulsive ». , c’est l’idée que, dans notre société, l’hétérosexualité est présupposée et imposée. La comphet s’impose avant tout aux lesbiennes, puisque le monde entier répète (à elles et à toustes les autres) que ce qu’il y a de plus important, c’est les hommes. Mais qu’est-ce qui se passe si vous croyiez être lesbienne, et que finalement ça n’est pas le cas ?

Est-ce bien un cas de comphet ? Je ne parle pas des femmes qui se rendent compte qu’elles sont bisexuelles, je parle de quelque chose d’un peu plus compliqué que ça.

Je suis assis dans un parc avec ma petite amie. On a lancé une playlist Spotify romantique (sans pub) et le soleil commence tout juste à se coucher. Je lui dis que mon cœur bat la chamade. « Tu le sens ? ». Je pose sa main sur mon cœur. « Non, par contre je sens ton sein. » Elle plaisante. « Laisse-moi le sentir à nouveau. ». Je m’esclaffe, la tête en arrière, mais je sens mon estomac se nouer. Y’a un truc qui cloche ! Ne parle pas de ma poitrine, en fait ! Mais, je chasse ça de mes pensées. Une demi-heure passe. Puis une heure. Le soleil s’est totalement couché quand elle me demande pourquoi je ne l’ai toujours pas embrassée.

Quelques mois après cette soirée dans le parc, je fais mon coming-out d’homme trans gay.

J’ai une autre histoire à raconter, une qui date de l’école primaire. J’étais ami avec une fille et quatre garçons. Je faisais du football en club et j’en faisais la démonstration à ces garçons tous les jours à la récré. J’avais le niveau pour jouer avec eux. Je me suis longtemps dit : c’est complètement normal d’avoir des amis qui ne sont pas du même genre que soi (et ça l’est) mais c’était quelque chose de différent qui se jouait là. Certes, je n’ai jamais été aussi heureux qu’à l’école primaire, quand on traînait tous ensemble, mais j’étais aussi très en colère. J’étais en colère de ne pas pouvoir m’asseoir avec eux quand on nous séparait en groupes de garçons et de filles ; j’étais en colère qu’ils disent parfois que j’étais pas capable de frapper aussi fort qu’eux dans la balle ; et j’étais en colère de ne pas pouvoir venir à leurs soirées pyjama. Je trouvais ça vraiment injuste. Et puis j’avais aussi un faible pour l’un d’entre eux.

STOP !! Alerte à la comphet ! Plus tard, je me suis rendu compte que j’étais lesbienne, donc ça devait forcément être de la comphet ! Sauf qu’évidemment, je ne suis pas lesbienne. Mais, il y a quelques années, c’est ce que je pensais. Et j’en étais convaincu. J’ai mis un râteau à ce même garçon quand en sixième il m’a demandé d’être sa « petite amie ». Tout le monde m’a demandé pourquoi j’avais fait ça. Ça clochait, c’est tout.

Pourquoi je raconte tout ça ? Parce que ces deux histoires sont des exemples de comphet chez les personnes transmasculines.

La comphet chez les personnes transmasculines peut se présenter sous de nombreuses formes. Je viens de décrire deux exemples tirés de ma vie. Les deux se sont produits quand je pensais encore être une femme (ou en tout cas être quelque part sur le spectre féminin), et que j’étais techniquement en couple lesbien, dans l’un d’entre eux. Il s’agit pourtant bien de deux exemples de comphet transmasc parce que celle-ci ne veut pas nécessairement dire « être hétérosexuel-le ». Cela tient plutôt aux attentes sociales. Je n’aimais pas les hommes (c’est-à-dire que j’étais terrifié par mes sentiments très compliqués à leur égard), donc je devais être lesbienne.

On retrouve la même misogynie dans la comphet transmasc que dans la comphet en général. Les hommes sont considérés comme « dominants » et les femmes comme « soumises », ce qui est terriblement misogyne. Quand j’étais avec ma petite amie, j’étais butch. Je ne portais pas de robes, j’avais les cheveux courts, j’ai été le premier dire « je t’aime ». Pour toutes ces raisons, la société aurait tendance à me considérer comme le « dominant » du couple. Inconsciemment, cela faisait que je me sentais homme, et c’était ce que j’avais toujours voulu.

Ça, c’est la première partie de la comphet chez les personnes transmaculines. Et que se passe-t-il une fois qu’on a compris qu’on est un homme ? Eh bien, encore plus de comphet transmasc, voilà ce qui se passe !

C’est le moment où tu penses que tu es un mec hétéro ou bisexuel. Tu étais lesbienne ! Évidemment que tu vas continuer d’être attiré par les femmes. (Sauf qu’en fait, évidemment, ton attirance pour les femmes était conditionnelle. Tu sortais avec elles pour pouvoir « être l’homme » et parce que tu n’avais jamais, au grand jamais, voulu être la petite amie d’un garçon… ça te paraissait TELLEMENT bizarre.)

Il y a trois grandes raisons pour lesquelles je pensais être attiré par les femmes après avoir compris que j’étais un homme :

1. C’était comme ça depuis si longtemps.

2. J’ai peur d’être moins un homme si je suis gay.

3. J’ai très peur d’être considéré comme un fétichiste.

La première raison se passe d’explications. J’ai cru si longtemps être lesbienne, pourquoi mon attirance pour les femmes aurait-elle disparu ?

La seconde raison, il faut la décortiquer.

La comphet transmasc peut aller de pair avec une masculinité forcée ou toxique. En tant qu’hommes trans, nous ressentons très souvent le besoin de coller à une binarité bien arrêtée. Pas de place pour les trucs « girly », sinon on ne serait pas de vrais hommes. On ressent une pression à être « viril » tout le temps. Et qu’est ce qui est viril selon la société ?

L’hétérosexualité.

Si ma transphobie intériorisée me dit déjà que je suis un homme au rabais parce que je suis trans (ce qui n’est pas vrai d’ailleurs), eh bien je n’ai pas du tout envie d’être gay en plus de ça. C’est un double coup dur pour ma confiance en moi. Du coup, la comphet transmasc ça peut être de penser que vous êtes attirés par les femmes par souci d’être un « vrai homme ».

Une fois cet obstacle dépassé, il en reste encore un à franchir.

Et si je n’étais pas vraiment trans ? Et si je fétichisais les vrais homosexuels ? Et si j’étais une femme hétérosexuelle ? Mais pourtant, quand je pensais être une femme, j’étais attiré par les femmes, pas vrai ?

Pour dépasser celui-ci, il faut du temps et se rassurer sans cesse. Quand on comprend enfin qu’on est tous légitimes en tant qu’hommes, même attirés par d’autres hommes, la comphet fait son retour. Mais attends, si je suis attiré par les hommes… est-ce que je suis pas juste une femme ? Parce que c’est ça que la société veut. Des hommes et des femmes. Des femmes et des hommes.

Une fois ces réflexions déconstruites et laissées derrière nous, on arrive au bout du chemin qui mène à la pédalerie. Mais il faut continuer à désapprendre tout ça. La comphet transmasc ne disparait pas juste parce qu’on a compris ce que c’était.

Pour finir, souvenez-vous qu’en tant qu’hommes trans gays, vous avez le pouvoir de redéfinir la masculinité. Get weird with it : Expérimentez, amusez-vous, soyez bizarre, juste pour voir ! Portez ce que vous voulez, parlez comme vous voulez, dansez comme vous voulez ! Ce n’est pas dégradant d’être soi-même.

Deux routes divergeaient dans un bois ;

Quant à moi, j’ai suivi la moins fréquentée

Et c’est cela qui changea tout

Le chemin vers la pédalerie est achevé2Extrait du poème The Road Not Taken de Robert Frost (1956), traduit par Alain Bosquet, La Route que je n’ai pas prise..

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