Review : A Trans Man Walks Into a Gay Bar1« Un Homme Trans Entre Dans un Bar Gay » ; toutes les propositions de traduction sont par TransFagTrad, le livre n’étant pas (encore ?) traduit en français.

Par Maxence

Hello. Ci-dessous quelques mots brouillons sur « A Trans Man Walks Into a Gay Bar », de Harry Nicholas, que je viens de terminer. Je précise que malgré mes mots sévères j’ai apprécié le fait que ce livre existe, et aimé l’humour inséré dans le récit – c’est cet humour qui fait la force du livre. De la réalité transpédé on aura quelques aperçus, c’est donc un livre qui est bienvenu. J’aurais simplement aimé qu’on entre véritablement dans l’intimité de ces lieux et des ces rencontres. Ma déception est davantage liée à un manque de représentation, qui entraîne une attente trop grande, souvent déçue. On lit tous aussi en fonction de notre parcours, et ça ne fait que confirmer la diversité de ces derniers. Je serais heureux de connaitre votre opinion pour contrebalancer mon expérience.

couverture de A Trans Man Walks Into a Gay Bar
couverture de A Trans Man Walks Into a Gay Bar


Je pense que c’est un livre pédagogique à destination des personnes cis (queer ou non), mais pas vraiment à destination des transpédés. Je dis ça parce qu’on ressent la volonté de faire « un livre militant », un livre « pour les autres », ce qui est légitime et louable, seulement je m’attendais à un récit sans concession, d’où ma déception.


J’aurais aimé un récit moins sage.


Harry Nicholas a du mal à raconter sans vouloir « en dire quelque chose ». Chaque évènement sert ainsi à offrir un état des lieux du welfare trans (typiquement : l’épisode de la pilule sert à parler du système de santé, et ainsi de suite). On ressent aussi le besoin d’insérer « l’arc narratif trans » : il faut parler coming out par exemple, et quand on parle coming out, il faut inclure le témoignage de sa mère et dire combien elle a progressé puisqu’elle aide désormais d’autres parents sur Facebook… J’ai parfois eu l’impression qu’il écrivait pour les personnes cis, en dessinant un parcours assez caricatural : « I have grown up with an experience of femaleness and femininity » (p. 55)2« J’ai grandi en faisant l’expérience de la féminité et de ce que c’est que d’être une femme » ; « how can I be a man when I never had a boyhood » ? (p. 59)3« Comment puis-je être un homme alors que je n’ai pas eu l’enfance d’un petit garçon ? ». J’entends la diversité de nos parcours, mais je me demande dans quelle mesure ces phrases reflètent sa réalité. On doit également traverser quelques aphorismes un peu trop présents à mon gout (« comprendre le passé nous aide à mieux comprendre notre passé et futur »…).


Tout ça a tendance à désindividualiser le récit. Il nous signale pourtant bien, en avant-propos, que ce récit est personnel et que chaque personne trans est différente. Je regrette qu’il n’aille pas au bout de cette affirmation. Il s’agit peut-être d’une volonté de se faire comprendre par tous, ce que je peux comprendre, mais en conséquence ça devient vite consensuel pour un lecteur un peu capricieux comme moi.


On reste prude sur le sexe, par exemple. Sexe qui, d’ailleurs, est d’emblée vaginal (p. 114), comme si on n’avait pas de rectum ou que c’était secondaire (ça me fait penser que faudrait réactualiser les pensées sur le rectum en visibilisant celui des mecs trans…). D’ailleurs (p. 205), il indique que le sexe anal implique plus de préparation, ce qui expliquerait que dans son couple ça baise davantage parce que le sexe avec un mec trans (qu’il associe donc automatiquement avec du sexe vaginal) « offre plus de possibilité » (ses mots). Soit, mais on sait bien quand même que le sexe anal en couple implique un accord implicite : le lavement n’est plus un prérequis absolu (je suis pas en train de faire une révolution en disant ça, c’est un fait, lol. C’est également le cas en sauna ou en ext où l’obscurité n’a pas uniquement la fonction qu’on pense…)


Un exemple précis (et moins trivial) : la charge érotique et poétique des étangs de Hampstead Heath est rapidement évacuée pour faire un rappel de l’histoire de ces lieux, et ainsi retracer les origines de l’intérêt des hommes pédés pour les lieux de baignade et de cruising. J’apprécie son grand intérêt pour l’histoire queer et gay, mais ces apartés nous coupent du moment présent. Ce que dit l’histoire, pourquoi ne pas le suggérer en poétisant ce moment, et ainsi faire confiance au lecteur pour y retrouver ces liens implicites, cette inscription dans une lignée ? Encore une fois j’ai apprécié son attrait pour la littérature, l’art et l’histoire (finir sur Lou, par exemple, m’a ému), mais j’aurais juste aimé lire un récit sans complexes, plutôt que ce qui ressemble parfois à un exposé.


J’ai également eu l’impression, au fil des pages, de lire un état des lieux des différences entre pédés cis et personnes trans, sans approfondir les liens qui nous unissent. Par exemple revient souvent cette idée (qui entraine une l’hésitation, puis une fierté qu’il en tire) de venir « troubler » (« disrupt », ma trad) les espaces cis gay. Je pense que ça reste un des rares mouvements pas vraiment entièrement pensés par l’auteur (qui a sur tous les autres sujets une maturité précieuse). Il est commun de penser, en tant que transpd, que les écueils sont inhérents à notre parcours trans quand en réalité (on en revient aux liens), les errements du corps, ou l’hésitation qui accompagne une entrée en « paysage gay », est la même pour les pédés cis. Pas convaincu non plus (p 149-150) que l’usage accru de Grindr soit trans-related : les cis passent aussi par le même besoin de se sentir accepté. Le besoin d’affection, le sentiment d’abandon…ce sont des blessures partagées, fréquenter des cis pédés nous le révèle rapidement.


A plusieurs endroits, malgré lui, revient aussi cette rhétorique/ ritournelle du manque, la « dicklessness » 4Littéralement, « le fait de ne pas avoir de bite », si on veut. Je veux bien, c’est le fameux empowerement du mec-à-vagin, mais je pensais qu’on était passés à autre chose, qu’on avait ensemble interrogé pourquoi et comment les mots des autres s’emparent de nos bouches et nous font dire des choses factuellement fausses comme le pas-de-bite (invisibiliser les metas ou phallos) ou le pas-de-sexe. Tout ça alors qu’on a un dicklit (en grande majorité), et donc un sexe (breaking news). Ça m’a interpellé. (P. 87, ou p. 113) : » I wondered what it would be like to have awoken hard » 5 « Je me demandais comment ça serait d’avoir une érection matinale » : désolé pour le tmi mais je ne pense pas être le seul à me réveiller en bandant, quand même… ?) C’est surprenant de faire comme si le dicklit n’existait pas. Je ne crois pas qu’il soit une seule fois mentionné.


Je préfère quand il nous parle (habillement) avec son corps trans, et non avec un corps fantasmé (« […] allowing myself to see my trans body as just that – a trans body – not something to compare to cis bodies », p. 188).


Ce livre raconte un rapport au sexe unique à chacun : on vit des choses similaires mais on n’en fait pas la même chose – personnellement j’ai eu du mal à saisir où me situer quand il questionne son plan en sauna (« remove my body from the violence I had subjected myself to »6«Partir et retirer mon corps de la violence à laquelle je m’étais exposé » ; « maybe I needed to go to an extreme » 7« peut-être que j’avais besoin d’aller jusqu’à un extrême», p 186, même si par la suite il élargit sa réflexion). Beaucoup de réflexions sur un moment qui n’en mérite peut-être pas autant. J’aurais aimé qu’il reste « brut », car ces moments arrivent (on baise, il y a des fluides de toutes sortes et des mots) – et disent déjà suffisamment, tels quels, sur les personnes qui les prononcent. Parfois ils ne disent rien.


J’ai davantage apprécié la justesse de son état des lieux de l’isolement pédé : « I wondered whether this was just what being gay was – trying to find warmth in cold places. Trying to make ourseves comfortable in the little space we have » 8« Je me suis demandé si c’était pas simplement ça, être gay : chercher un peu de chaleur dans des lieux froids. Essayer de s’installer confortablement dans le peu d’espace qu’on a. » (P. 67). Il met aussi les bons mots sur des mécanismes dont on peine à se débarrasser (et qui ne dépendent pas simplement d’un simple « amour-propre », trop souvent avancé comme solution miracle). Ces mécanismes nous polluent malgré nous. (P. 119-120 : « I worried I’d be rejected for something that feels as natural to me as my eye color » 9« Je m’inquiétais d’être rejeté pour quelque chose qui m’était aussi naturel que la couleur de mes yeux ] ; « Rejection is familiar to me […] we come to anticipate it happening again and again […] Resistance is in every fibre of my muscles. My body prepares itself without me even realizing […]  » 10« Être rejeté m’est une expérience familière […] on finit par s’attendre à ce que ça nous arrive encore et encore […] Je sens la résistance dans chaque fibre de mon être. Mon corps se prépare sans même que je m’en rende compte. »).
C’est précisément parce qu’on s’estime que le rejet nous prend de court. (Je pense aussi qu’en tant que pédés trans, les instances médicales sont encore bien présentes dans nos vies à travers les analyses vih-ist tous les trois mois en labo, et les questions des mecs, relais de cette intrusion médicale).

Globalement, la lecture me laisse un goût mitigé, mais c’est certainement parce que j’ai toujours trop d’attente, n’ayant jamais pu m’apercevoir dans aucun livre à part dans les journaux de Lou. J’ai tout de même pu m’identifier (le dating, le premier jockstrap, la première fois au sauna), y compris à des choses que je pensais être le seul à vivre, comme cet attrait vital et inexpliqué pour des territoires pédés (se rapprocher du quartier gay sans oser entrer, mais avoir besoin d’être dans ce périmètre, p 100-101, puis, des années après, entrer dans les bars, p 108 : « I felt a pull and a feeling of belonging to a venue that I’d never been to before. It was curious. I didn’t know how or why, but I knew I wanted to be there » 11 « Je sentais une attirance et un sentiment d’appartenance à un lieu où je n’étais jamais allé avant. C’était étrange. Je ne savais pas comment ni pourquoi, mais je savais que j’avais envie d’être là »).
Pour cela, je le remercie.


« I see my transness as a gift. An opportunity to step away for the tired and unreasonable expectations forced upon us by societal pressure to fit in. If I do ever have children or get married, it will be because I feel it is right for me, not because it is my place, or because it is what is expected of me. Being queer, gay, trans is freeing in that respect. Our relationships and connections can be formed by what we want them to look like. This is a beautiful, delicate thing and something to cherish. »12« Je vois ma transitude comme un cadeau. Comme une opportunité pour m’écarter des attentes galvaudées et déraisonnables imposées par la pression de la société à se conformer. Si un jour j’ai des enfants ou si je me marie, ce sera parce que j’ai le sentiment que ça me correspond, pas parce que c’est mon devoir, ou ce qui est attendu de moi. Être queer, gay, trans, c’est libérateur à cet égard. Nos relations et nos connexions peuvent se former selon nos envies. C’est quelque chose de beau, de délicat et que j’ai envie de chérir. » (P. 128)