Sky, 64 ans, Palm Springs (Californie)
Interview issue du projet To Survive On This Shore.
To Survive On This Shore est un projet du photographe Jess T. Dugan. Pendant plus de cinq ans, celui-ci a parcouru les États-Unis, accompagné de la travailleuse sociale Vanessa Fabbre, pour faire des portraits de personnes trans et déviantes de genre “plus âgées”. Ces portraits photo sont accompagnés de portraits à la première personne. Partant du constat que les représentations de personnes trans plus âgées sont quasiment absentes de notre culture, et que lorsque celles-ci qui existent, elles sont souvent unidimensionnelles, Dugan et Fabbre ont voyagé d’un bout à l’autre du pays, des grandes villes aux petites villes, pour documenter les récits de vies précieux de ce groupe pourtant sous-représenté. Les portraits témoignent que leurs vécus se trouvent à des intersections complexes entre identité de genre, âge, race, ethnicité, sexualité, classe socio-économique et localisation géographique. Cette variété de récits de vie qui s’étendent sur les quatre-vingt-dix dernières années, offrent un regard sur l’expérience et le militantisme trans aux États-Unis, et une vision nuancée des épreuves mais aussi des joies de vieillir en tant que personne trans, et ce que c’est de vivre de façon authentique, envers et contre tout.
Je me décrirais comme un homme trans gay polyamoureux, avec une sacrée préférence pour les bears. Un homme gay qui se trouve être très différent de beaucoup d’autres hommes gays, mais assurément polyamoureux. Ça fait un peu plus de 25 ans que mon partenaire et moi sommes ensemble, et c’était ça qui était au cœur du début de notre relation.
Mon chemin a débuté dans la communauté lesbienne, où j’ai misérablement échoué. Je couchais avec bien trop d’hommes. Donc ça n’allait pas. J’ai déménagé à San Francisco en 1986, où j’ai commencé à m’investir beaucoup dans la communauté SM lesbienne. Je suis l’un des fondateurs de International Ms. Leather1International Ms. Leather est une convention fetish issue de la sous-culture cuir pour les femmes, qui a lieu chaque année en Californie. Elle rappelle les concours de International Mr Leather, issus de la sous-culture fetish cuir gay masculine.. J’ai dû caché que j’étais un homme trans pendant un bon moment parce que je pensais qu’on m’enlèverait ma « carte ». Eh bien, j’ai fini par me mouiller et j’ai dit : « Ça ne va pas ». Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé ma transition, et que je n’ai jamais regardé en arrière.
Je me vois aussi comme un père. La semaine dernière, mon fils a fêté ses onze ans. En réalité, c’est mon petit-fils ; ma fille est décédée d’un cancer, il y a six ans. Quand elle est décédée, il s’est très vite rendu compte qu’il n’avait pas de mère, ni de père, donc on lui a laissé le temps de comprendre ce que cela signifiait pour lui, et ce qu’il voulait faire. Et il a décidé qu’il voulait des papas. Je pense qu’il est bien au clair sur le fait qu’on soit ses grand-pères, mais ça ne lui convient pas. On l’a laissé choisir nos surnoms, donc je suis Papa [dans le texte] et mon partenaire est Daddy Bear [Papa Ours]. Et il nous présente toujours comme ses papas.
J’ai longtemps pensé que le monde était la meilleure école. Donc tous les deux, avec le petit gars, on va prendre la route à plein temps bientôt, dans notre camping-car. On a plein de projets. J’ai eu la chance de pouvoir voyager partout où j’en avais envie (et je voyage pas mal, quand même), et sans avoir de pépin. Les gens me prennent souvent pour un vétéran de la guerre du Vietnam, un motard, ou un fou à lier qu’il vaut mieux pas emmerder. Ces trois choses semblent fonctionner pour moi tant que j’ouvre pas la bouche, et qu’un sac à main n’en tombe.
Je vis dans l’abondance, dans plein de domaines : une abondance d’expériences, de famille, d’ami·es, de chance. Vivre dans l’abondance, c’est ce qui nous garde en bonne santé et heureux. Tu ne peux pas laisser les broutilles du quotidien et le stress te menotter puis croire que tu vas vivre une vie bien remplie. Avoir peur, ça nourrit le stress et donne de l’importance à ces broutilles. La vie commence réellement quand on s’éloigne de la peur. Je vais aller là où j’vais aller. Je verrai ce que je verrai. Lui et moi allons vivre des aventures sans vivre dans la peur !