La contrainte à l’hétérosexualité chez les transmascs – la suite
Texte anonyme (États-Unis), publié en 2020 sur un blog personnel.
Presque toutes les semaines, je cherche les mots « comphet1 transmasc » sur twitter.
J’y trouve généralement plein de tweets de personnes qui disent qu’un article que j’ai écrit, et le terme que j’ai inventé, les ont aidé.
C’est une des meilleures sensations au monde pour moi. Être capable d’écrire quelque chose qui résonne chez des gens comme moi. Mais, parfois je relis l’article et je grince des dents, car j’ai beaucoup appris depuis que je l’ai écrit, et j’ai beaucoup plus de choses à dire.
Alors voici la suite.

JC Leyendecker, 1910. (Publicité pour une marque de chemises.)
Si vous n’avez pas lu La contrainte à l’hétérosexualité chez les transmascs (et le chemin vers la pédalerie), en voici un bref résumé.
La contrainte à l’hétérosexualité transmasc, ou comphet transmasc, est une forme de contrainte à l’hétérosexualité qui affecte les hommes trans gays via une combinaison de transphobie, d’homophobie, et de misogynie intériorisées. Nous, hommes trans, pensons souvent que nous sommes des femmes queer (dans mon cas, une lesbienne) car si nous avons des sentiments confus envers les hommes, c’est qu’on est probablement pas attirés par eux. On va donc vouloir dominer ou être la plus masculine dans une relation f/f car inconsciemment ça nous fait nous sentir comme des hommes, et c’est ce qu’on veut, au fond. (Bien que cela ne soit pas une situation saine). Enfin, après un coming-out trans, on a encore souvent affaire à la comphet transmasc à cause de la masculinité toxique qui nous est imposée. En tant qu’hommes trans, on a aussi l’impression qu’on doit faire nos preuves en tant que « vrais hommes ». Et qu’est ce qui est viril selon la société ? L’hétérosexualité. Pour toutes ces raisons, se rendre compte que l’on est un homme trans gay peut être extrêmement difficile.
Voilà, ça couvre la plupart des choses dont j’ai parlé dans l’article d’origine. Je voudrais parler plus en détail de « l’attraction conditionnelle ». C’est-à-dire, ce qu’un transmasc gay peut ressentir pour les femmes. C’est une attraction due à… la situation dans laquelle il est. Et celle-ci peut être multiple.
1. S’identifier comme femme mais se savoir queer.
Une des raisons majeures pour laquelle un transmasc gay serait convaincu de son attirance pour les femmes, c’est qu’il se définit encore comme une femme. La personne transmasc se sentirait bien sûr « différente » ou « autre », sachant que son identité pourrait susciter rejet et mépris. Cependant, il est fréquent dans nos vécus de savoir que l’on est queer bien avant de se rendre compte que l’on est trans. Ce qui veut dire, qu’en tant que femme, on est attirée par les femmes.
Parfois (pas toujours) en tant qu’enfant queer, on sait pendant la majeure partie de sa vie qu’on est quelque part dans l’acronyme LGBTQ, mais on met du temps à déterminer quelle est notre identité. Parfois, être trans paraît si invraisemblable, qu’un transmasc gay peut être convaincu qu’il est une lesbienne cis (ça m’est arrivé !). C’est la première forme d’attraction conditionnelle. Être dans le déni de sa transidentité peut très rapidement mener à de la confusion. Mais, dans la tête d’un jeune transmasc, c’est logique. Ça passe de « je sais que je suis sûrement queer », à « je suis une femme » jusqu’à « je suis une femme attirée par les femmes, car je sais que je suis queer ».
Mais, qu’en est-il si vous savez que vous êtes transmasc ? Ceci nous mène au deuxième point.
2. S’identifier comme un homme et vouloir être « masculin »
C’est quelque chose dont j’ai déjà parlé dans mon article d’origine, mais je veux en parler à nouveau.
Les personnes trans et gay reçoivent une quantité énorme de transphobie crasse : on nous dit qu’on « est hétéro avec des étapes en plus », ou qu’il « aurait été bien plus simple de ne pas transitionner et de rester des meufs hétéro ». Ça peut même être quelque chose qu’on attend de nous quand il s’agit de notre coming-out trans : l’hétérosexualité est supposée. « Pourquoi tu transitionnerais pour être gay ? »
C’est simplement une incompréhension de ce que signifie être trans, mais ça peut très vite devenir énervant. C’est là que l’attraction conditionnelle revient. Après un coming-out transmasculin, les gens pensent que l’hétérosexualité va de soi. Parce que, si on avait une attirance conditionnelle avant de sortir du placard (donc quand on se définissait encore comme une femme), pourquoi ça changerait ?
L’attraction conditionnelle est une situation compliquée. Comment en sortir pour connaître sa sexualité réelle ?
Bien sûr, il n’y a pas de réponse simple à cette question. Il n’y a pas de quizz Buzzfeed qui nous donnerait réponse à tout, malheureusement. Même moi, qui ai écrit DEUX ARTICLES ENTIERS sur le sujet, je n’ai pas de réponse toute faite à donner.
Mais par contre, j’ai un autre point à soulever.
Le genre et la sexualité sont connectés de manière inhérente.
On répète souvent l’affirmation inverse, c’est-à-dire que genre et sexualité ne sont pas connectés, pour que les cishet comprennent plus facilement la différence entre être LGB et être T. C’est plus simple pour eux si nous disons juste que ce sont des choses totalement différentes.
Mais, je ne suis pas d’accord.
Je ne pense pas que mon genre et ma sexualité aient forcément changé au fil du temps, je pense plutôt que c’est quelque chose que j’allais finir par comprendre à un moment donné. Mais j’ai compris les deux ensemble. Et ça, c’est parce que je ne pouvais pas avoir l’un sans l’autre !
Je n’allais jamais avoir de petit ami si je devais être sa petite amie. Et je n’allais jamais arrêter d’avoir des petites amies à moins que je ne devienne soudainement leur petit ami.
C’était complètement connecté pour moi. Et c’est pour ça qu’il est parfois dur de se faire à son identité d’homme trans gay. Parce que ces deux identités, la société les voit comme déconnectées.
Me dire « tu es un homme trans, et il se trouve que tu es gay aussi !» est faux.
Non, je suis un homme trans gay. Je suis gay parce que je suis trans, et je suis trans parce que je suis gay. Et c’est complètement ok pour quelqu’un que ces deux identités soient complètement connectées, au point de n’en former qu’une seule.
Vous n’êtes pas « hétéro avec des étapes en plus » et vous n’avez pas à réduire votre identité pour la rendre plus accessible pour les cishet. Peut-être qu’ils ne comprennent pas que l’identité gay et trans puissent former une seule et même identité pour quelqu’un, mais ça ne veut pas pour autant dire que ce n’est pas vrai.
Certains sauront avec qui ils veulent sortir dès le début, puis la question de leur genre suivra. C’est totalement ok ! Mais pour d’autres (ceux qui font l’expérience de la comphet), tant que ces deux pièces de puzzle n’auront pas été trouvées ensemble, rien ne pourra s’assembler pour qu’enfin, tout prenne sens.
Mais, est-ce vraiment important au final ? Pourquoi est-ce que j’écris tout ça en fait ?
Parce que ça existe. J’ai reçu des messages privés de personnes pour qui mon premier article sur la comphet transmasc était une révélation, où ils me disaient qu’ils n’avaient pas la moindre idée du fait que c’était une expérience courante. Donc, si vous lisez ceci, et que des choses… commencent à faire sens… Je veux que vous sachiez que vous n’êtes pas seul.
Vous pouvez vous tromper sur votre identité. Ça arrive bien plus souvent que ce qu’on pourrait penser. Il n’y a absolument rien de mal à ça. Et vous ne valez pas moins que les autres car cela a pris plus de temps pour vous.
Et en particulier, vous ne valez pas moins que les hommes cis gay. Je veux que ça soit très clair. Vous n’êtes pas en train « d’envahir leurs espaces » ou « de fétichiser l’expérience gay » ou quoi que ce soit d’autre du genre qui puisse être dit (et qui m’a été dit). Vous êtes un élément précieux de cette communauté pleine de vie. Et selon moi, c’est justement parce que c’était un peu plus dur pour vous de vous en rendre compte, que vous êtes BIEN PLUS important.
J’ai fini mon dernier article par une citation de Robert Frost. Je veux finir celui-ci avec une autre citation, cette fois d’un poète trans qui est aussi un de mes amis chers. C’est une des premières personnes avec qui j’ai discuté de la comphet transmasc.
« Ai-je besoin de te prouver ma masculinité ?
Non, attends ; c’est pas dans le bon ordre.
Je n’ai pas besoin de te prouver ma masculinité. »
Je n’aurais pas pu dire mieux.
Texte traduit et relu par R., Loren, Karl, Loeiz et Otto-André Phil.
Notes de bas de page:
1 Abréviation de « compulsory heterosexuality », concept de Adrienne Rich fréquemment traduit par « contrainte à l’hétérosexualité », aussi aujourd’hui souvent désigné comme « hétéronormativité ». Dû à l’origine anglo-saxonne du terme, « comphet » est parfois utilisé comme abréviation en français, nous avons donc choisi de garder l’abréviation pour fluidifier la lecture de l’article. Parfois, traduit littéralement par « hétérosexualité compulsive ».