Information à propos du texte
Avant de commencer la lecture, on préfère prévenir que certains usages de la langue n’ont pas le même impact aujourd’hui et peuvent même choquer. Il y a notamment un passage de réassignation par le « sexe biologique », et l’usage d’un lexique poétique tiré du répertoire médical (qui nous désigne comme des hermaphrodites ou des transsexualistes symptomatiques).
La libération de mon pédé intérieur : un conte de fée homo radical.
Liberating my inner fag: a radical faerie tale
par Jill Nagle
Pour la soirée « Faerie1de l’anglais « fée », injure homophobe pouvant se traduire par « tapette », fait l’objet d’une réappropriation au même titre que « queer » ou « fag ». Lingerie», Avi et moi formions le couple parfait. Lui, avec son porte-jarretelles en dentelle et ses bas blancs, son bikini en coton et maquillé par mes mains expertes, moi avec mon caleçon Calvin Klein, mon débardeur, ma veste en daim bien butch2lesbienne adoptant une esthétique plutôt « masculine », dans la dynamique butch/fem., mes bottes asserties et ma barbe postiche. Oh, et bien sûr, le joli paquet entre mes jambes. J’ai pleurniché : « Mais comment vous faites, vous, pour marcher avec un truc pareil ? ». « Cesse d’y toucher », m’a admonesté Avi de son falsetto israélien. J’ai tenté de marcher d’un pas nonchalant dans la rue, et de ne plus penser à maintenir ma bite en place, la confiant aux bons soins du string en dentelle noire où je l’avais nichée, en sécurité.
Après avoir dépassé plusieurs pâtés de maison d’une démarche maladroite et m’être arrêté plus d’une fois pour remettre mes nouveaux bijoux de famille en place, nous sommes arrivés sur les lieux. Comme je m’y attendais, les couloirs et les chambres étaient en grande majorité occupés par des tapettes radicales, parées de sequins, de dentelles, de polyester et de toutes sortes de lingerie fine. J’espérais avoir respecté le dress-code. Ne devant éventer ma couverture sous aucun prétexte, Avi me présenta avec obéissance à ses amis en tant qu’Ian ; c’est le nom que j’avais envisagé d’adopter pour Rosh Hashana3Fête juive de la nouvelle année, a lieu courant septembre.. J’ai tendu la main et leur ai serré la poigne le plus fermement possible puis ai lancé un « comment qu’ça va ? » de ma voix la plus virile. Certains y ont cru pendant un moment, et les autres qui avaient percé à jour mon travestissement, étaient manifestement curieux.
Lors de précédentes visites dans des lieux gays, j’avais remarqué que ma présence féminine avait tendance à refroidir la tension sexuelle masculine qui circulait habituellement de façon très libre. Mais ce que je voulais ici, c’était tout l’inverse. J’étais venu pour susciter et prendre part librement à cette énergie sexuelle débordante. Mais qui fallait-il que « je » soit pour y arriver ? Il fallait que « je » soit un escroc en quelque sorte. Je ne voulais pas être catégorisé comme « femme » et rejeté à ce titre. J’étais à ma place dans ce lieu appelé « boy’s room ». Je voulais en être ; pénétrer dans le club, dans le sauna, et dans ces chairs tendres de garçons…
Très vite, je frappais mon gode ferme mais flexible contre le cul de toute une file de pédés avides de se faire baiser les uns après les autres dans le couloir. Je voyais déjà le titre : « Un garçon-fille gang-bang toute une bande de tapettes à lui tout seul. ». Peut-être plutôt : « à l’aide de son seul gode » ? Je ne sais pas s’ils étaient mes jouets ou si j’étais le leur, mais tout le monde semblait y prendre du plaisir. Il y a bien des jours où je me sens plus viril que d’autres, mais ce moment fit de moi un animal tout autre. Je n’avais pas l’impression de performer la virilité. Les fâmes biologiqueuh4« Biowimmin » dans le texte : désigne un terme se moquant de la rhétorique Trans Exclusionary Radical Feminist (TERF) désignant les femmes cisgenres comme des femmes biologiques dans une tentative de démarcation transmisogyne entre femmes cis et femmes trans. à la fête étaient surtout douces, fems5lesbienne adoptant une esthétique plutôt « féminine », dans la dynamique butch/fem. et passives et manquaient de la brutalité à laquelle j’aspirais. Cela dit, si une grande méchante gouine butch avait franchi la porte d’un pas assuré, mon orientation sexuelle serait devenue tout de suite plus compliquée. Et elle l’était. Je me sentais vraiment comme… un pédé trans. Ouais, ça me correspondait bien.
Puis je me suis souvenu de deux MTF que je connaissais. L’une d’elles, Joseph, un mec gay, disait qu’il prévoyait de devenir lesbienne après son opération. Prévoyait ? De devenir lesbienne ? Qu’est-ce qu’être lesbienne alors si on peut prévoir d’en devenir une ? L’autre, Kate Bornstein, était un ancien homme hétérosexuel qui, une fois devenue femme, s’était rendue compte qu’elle était toujours attirée par les femmes. Elle avait alors fait son coming-out en tant que lesbienne. Dans sa dernière pièce, Kate citait ainsi sa mère : « maintenant nous nous parlons, moi et mon fils, la lesbienne. ». Pour Joseph, le facteur primordial de son orientation sexuelle était sa préférence pour l’essence-même de l’homosexualité, et cela peu importe son sexe. Pour Kate, c’était le sexe de la personne par lequel il, puis elle était attirée qui était le plus important.
…Un pédé trans.
Ouais, ça me correspondait bien.
Il y avait quelque chose chez Joseph qui résonnait en moi. Pendant que je dansais avec Spectrum, une tapette radicale qui faisait tournoyer avec application son corps nerveux contre le mien, je me suis dit « Je veux ce mec… Je veux ce mec seulement comme un homme peut en vouloir un autre » Mais j’ai peut-être internalisé l’hétérophobie ; la seule manière dont je peux manifester mon attirance pour les hommes c’est en tant qu’homme. Enfin, non, ce n’est pas tout à fait vrai. S’il y a bien quelque chose dans ce genre là, c’est plutôt de l’hétérosoporifie : l’ennui plutôt que la peur de l’hétérosexualité. Je peux sentir les mecs hétérosexuels à des kilomètres et ils *bâille* ne me donnent pas envie de voguer avec eux, alors qu’il suffit aux garçons queer de cligner les yeux pour que mon mât se dresse.
Spectrum avait des cheveux bruns courts, des yeux perçants et des sourcils arqués qui partaient de son nez et allaient jusqu’au front pour redescendre vers ses oreilles. Son maquillage donnait à son regard un aspect concentré et intense, peu importe ce qu’il regardait. De ces yeux il soutenait mon regard, dansant toujours plus près de moi tandis que des gouttes de sueur glissaient le long de son cou. Très vite, je me suis retrouvé sans chemise, mon pénis accroché par sa ventouse au-dessus de la baie vitrée si bien qu’il avait l’air d’un mât, et Spectrum et moi avions échangé de sous-vêtements.
Je dansais dans son jockstrap rouge tomate (par-dessus mon string noir) tandis que mon caleçon en coton gris glissait tout le long des deux pamplemousses fermes composant son délicieux cul, parsemé de tâches sombres là où la sueur avait glissé. J’ai récupéré ma bite, qui avait l’air plutôt réaliste dans le jockstrap de Spectrum. Les yeux de Spectrum se sont écarquillés et il s’est approché de moi en dansant, souriant avec les yeux baissés, puis il a levé les yeux vers moi et a gloussé timidement.
Quelques autres tapettes ont fait le détour pour mater et jouer avec moi, mais j’ai décliné leurs avances, favorisant Spectrum. Spectrum gardait les yeux rivés sur moi pendant que ses hanches ondoyaient toujours plus près de mon entrejambe. J’ai plié les genoux et ai dansé contre son torse, effleurant « accidentellement » son téton avec le mien. Comme il semblait aimer ça, j’ai fait courir mes doigts le long de sa nuque vers son nombril, m’arrêtant à nouveau sur son téton pour le pincer abruptement. Le corps de Spectrum s’est tendu des pieds à la tête tel un ver de terre. « Bon sang » ai- je pensé. Je l’ai retourné et ai attiré avec force ses hanches contre mon érection couverte par son jockstrap, tout contre son cul couvert par mon caleçon. Merde. Quelle vie !
Ouais, là ça va bien plus loin que n’importe quel autre truc de butch bigouine que je pourrais essayer de faire. De toute façon je suis plutôt une mauvaise butch. Mon amante Rebecca par contre, s’en sort plutôt bien en tant que butch. Quand nous sommes en public toutes les deux, la plupart des gens disent « Jill c’est la fem et Reb la butch. » Pourtant, quand nous avons vu l’interview de Monika Treut avec Max Wolf Valerio, un transsexuel FTM et ex-lesbienne féministe, c’est moi qui me suis senti profondément touché, moi qui ai eu les larmes aux yeux, et moi qui n’arrêtais pas d’en parler pendant des jours. J’ai fini par comprendre au plus profond de moi ce que je n’avais jusque-là compris qu’intellectuellement : les notions de butch et fem sont totalement indépendantes du genre. Dans mon cas, mon pédé intérieur a longtemps été identifié à tort comme simplement femme.
En tant que bigouine plutôt butch, Rebecca a été un bon catalyseur pour mes considérations de genre naissantes. Elle a un jour fait remarquer que je m’étais jamais réellement identifié comme femme, ou même montré de signes que je me considérais comme telle. Bien que sur le coup ça m’avait paru étrange en tant que féministe convaincue, à l’intérieur de moi, j’avais compris.
Puis ça m’est venu un soir, en me séchant les cheveux devant un miroir : tout à coup, j’avais vraiment compris. « Je ne comprends pas les sèche-cheveux », se lamentait Rebecca. « C’est pour le style », ai-je expliqué à Rebecca, « et tu n’y accordes pas beaucoup d’importance ». Tu prêtes attention aux grandes lignes de l’esthétique queer. Mais pas aux nuances. Cette remarque pouvait être considérée en soit comme représentative de l’esthétique butch. Mais est ce qu’être aux antipodes de cette esthétique faisait de moi une fem ? Je m’apprêtais à disserter sur le pourquoi du comment cette question de sèche-cheveux était un bon exemple de la division fem-butch, mais je me suis regardé dans le miroir et j’ai compris. « Je suis un homme gay ! », j’ai crié, en secouant le sèche cheveux avec excitation. « Mais oui c’est ça ! », s’est-elle exclamée. Nous nous sommes penchés sur mon cas. Ma chemise en soie sur mesure rentrée dans mon pantalon plissé d’homme. Mes chaussures « d’homme ». Mes traits ciselés et ma mâchoire marquée. Mes cheveux coiffés en pointe. Le physique fin, musclé et plutôt plat de poitrine que je cultivais. Même mes lunettes rétro de marque aux bouts pointus criaient high camp. C’était en effet surtout des hommes gays qui m’arrêtaient dans la rue pour s’écrier : « J’adoooore tes lunettes ! ». Ouais. Ok. Ouais.
Et puis il y avait aussi tous ces autres hommes. Bien après que la jauge de tolérance de Rebecca pour « l’énergie masculine » ait été épuisée, je restais là à badiner avec mes frères. Une fille à pédés ? Pas vraiment. Une bigouine armée d’un gode ? Oui, davantage. Mais je voulais lutter amoureusement à même le sol contre mon égal en force, je voulais sentir nos bites l’une contre l’autre. Nos vraies bites, chaudes et palpitantes. Ouais, c’était ça.
Je voulais sentir nos bites l’une contre l’autre. Nos vraies bites, chaudes et palpitantes. Ouais, c’était ça.
Et c’est ÇA qui m’a amené à traîner après la soirée Faerie Lingerie. Je ne croyais pas m’être fait des idées sur le flirt flagrant de Spectrum à mon égard. Et j’ai en effet eu le plaisir de le retrouver dans mon lit un peu plus tard, le guidant pour une visite toute spéciale de ma chatte, sa toute première. Il était lui-même surpris, à 33 ans il n’avait embrassé qu’une femme dans sa vie. Je lui ai fait sucer ma bite jusqu’à ce qu’il ne sente plus son visage. Puis je l’ai repoussé et l’ai fait regarder pendant que je plongeais profondément ma bite dans ma chatte trempée, encore et encore.
Baisant mon propre trouble dans le genre. Me baisant avec ma propre bite. Me tordant tel le pédé hermaphrodite que j’aspire à être, électrisé par… la baise… les fluides… encore, et encore, et encore… Et puis je l’ai laissé me baiser, avec sa véritable bite, chaude et avide. Mon type de gode favori ! Me faire baiser me mène normalement aux portes de l’extase plus vite que quoi que ce soit d’autre, mais j’étais dans un tel émerveillement empathique de pénétrer une chatte pour la première fois que la majorité des pulsations que je ressentais étaient dans mon gode envieux, un peu à la manière d’un membre fantôme. Spectrum et moi nous sommes longtemps amusés, gardant de côté bien plus de territoires que nous n’en avions visités, sachant tous deux que nous aimerions qu’il y ait une « prochaine fois ».
Peu importe qu’il y ait ou non une prochaine fois, je suis encore tout étourdi de la joie d’avoir enfin libéré mon/ma pédé·e intérieur·e de son placard solitaire. Rebecca a été la sage-femme de ma prise de conscience ; la soirée tapette a été la scène de mes débuts de trans pédé ; les caresses de Spectrum ont été la confirmation finale, une érection palpitante dans le territoire des pédales, encore inexploré, et que je ne peux qu’appeler sexy. Sexy, sexy, sexy. Depuis lors, je ne cesse de bander.
Jill Nagle (aka Ian), anomalie sexuelle interparadigmatique, cherche des pédéttes pour contribuer à son anthologie.