Trop Cuir Pour Vos Catégories : Bob Flanagan & le NightHawk

Par JAKE HALE

Traduction d’un article du zine TransFagRag, paru en 1996 aux États-Unis.

Dès la fin de mon adolescence ou au début de ma vingtaine, je mourrais d’envie d’aller dans un sex-club pour hommes ou à la chasse au cul à Griffith Park (j’ai relu encore et encore les romans de John Rechy, qui sont maintenant en lambeaux !). Bien entendu, je ne pouvais pas me rendre dans un sex-club tant que le fameux « M », que j’ai obtenu il y a quelques mois, ne figurait pas sur mon permis. (et je suis nerveux à l’idée de me rendre à la chasse au cul à Griffith Park).

Et puis, après tout ce temps, et étant donné que, sur certains points, je n’ai pas le corps auquel les mecs s’attendent, j’étais vraiment angoissé par cette deadline que je m’étais donné pour aller dans un sex-club, m’inventant toutes sortes d’excuses pour retarder ma première visite et traînant dans le cabinet de mon psy, où il me listait toutes sortes d’infos, comme ce à quoi m’attendre, ou comment gérer telle ou telle situation.  

En début de semaine dernière,  j’ai décidé que j’allais bloquer mon vendredi soir pour que ce soit la nuit où je pourrai enfin faire comme dans la pub de Nike et “just do it”.

« j’ai relu encore et encore les romans de John Rechy, qui sont maintenant en lambeaux »

Jeudi soir j’ai reçu un appel m’annonçant la mort de Bob Flanagan cet après-midi là, et que les funérailles se tiendraient le lendemain après-midi. (Pour ceux qui ne savent pas qui est bob, allez feuilleter le hors-série de Re/Search intitulé « Bob Flanagan: Supermasochist »1.) Bob & sa partenaire, collaboratrice artistique et maîtresse depuis 15 ans, Sheree Rose, sont des gens que  je suis heureux de compter parmi mes amis. Bien que son décès était prévisible, j’étais et suis toujours profondément attristé. Après avoir passé l’après-midi et la soirée du samedi aux funérailles et chez Sheree, je me suis demandé si cette nuit serait la bonne pour une première visite. Mais quelque chose que le frère de Bob, John, a dit pendant l’éloge continue de me trotter en tête. John a parlé de la manière dont Bob, grâce à l’honnêteté qu’il avait envers et à propos de lui-même, obligeait souvent les gens à être plus honnêtes envers eux-mêmes, si bien que ça pouvait parfois les mettre mal-à-l’aise. Quand John a dit ça, il a vraiment touché une corde sensible en moi. J’ai repensé à toutes les occasions où les interactions avec Bob avaient eu cet effet sur moi. Non pas que Bob ait dit quelque chose à mon propos, mais par son honnêteté, son ouverture & son courage dans sa manière de parler de lui-même. J’ai donc décidé de faire de cette soirée un hommage à Bob et j’ai vu dans mon aventure au NightHawk une manière de me rendre hommage en rendant hommage à Bob, et de rendre hommage à Bob en me rendant hommage. Et j’y suis allé. 

Bob Flanagan et Sheree Rose, photographiés par Michel Delsol en 1995.
Bob Flanagan et Sheree Rose, photographiés par Michel Delsol en 1995. Issue des archives LGBTQ ONE Archives at the USC Libraries.

« Le NightHawk est *le* sexclub pour les fétichistes du cuir de Los Angeles »

Le NightHawk est *le* sexclub pour les fétichistes du cuir de Los Angeles, juste au bout d’une courte allée tout droit sortie de Gauntlet II 2. L’intérieur est comme un labyrinthe obscur: les murs peints en noirs, très peu de lumière, des recoins, des alcôves et des renfoncements,  (je suppose que l’un des formulaires que j’ai signés lors du paiement de ma carte de membre décharge le club de toute  responsabilité si je me casse le nez en me prenant un mur.) Il y a une petite zone centrale mieux éclairée que le reste du lieu, mais il faisait suffisamment sombre pour que je ne sois pas le seul à trébucher sur l’escalier du bas (un escalier en bois qui mène à une estrade qui fait tout le tour du lieu). J’y suis allé dans l’idée que j’allais sûrement juste regarder les (quelques ?) premières fois où j’irai.  C’est à peu près ce que j’ai fait. J’ai erré, passant la tête dans les multiples alcôves, en matant ce qu’il s’y passait (de ce que j’arrivais à en voir), me familiarisant avec le lieu, la configuration de l’espace physique et la dynamique des interactions. J’étais un peu nerveux mais j’étais avant tout  rassuré, apaisé, *chez moi * j’avais un sentiment d’appartenance et j’étais bien sûr super excité ! Finalement,  j’ai pris mon courage à deux mains pour sucer une bite avant de partir, et faire en sorte d’atteindre mon objectif.  Mes premiers essais n’ont pas été concluants ; j’étais trop lent pour suivre les gars qui me draguaient du coup d’autres gars était déjà sur leur bite avant moi. Mais quand un autre mec et moi avons tourné dans le même coin sombre au même moment, on a commencé à se frotter l’un à l’autre, à s’embrasser et à se palper l’entrejambe. Bien que j’ai compris que mon “projet artistique” était passable, je ne savais pas pour combien de temps je pouvais laisser passer ça , & j’avais quelque chose de bien défini en tête, j’ai donc déboutonné son jean, me suis mis à genoux, et me suis au boulot.  Quel plaisir ! Après avoir terminé, j’ai décidé que j’avais eu beaucoup plus que ce que j’avais prévu et je suis rentré chez moi avec un sourire de branleur collé au visage. Le lendemain, chez Sheree à nouveau (elle fait Shivah),  je lui ai raconté l’histoire et sa réponse fut (en partie) que Bob l’aurait adorée, il aurait ri aussi fort que Bob Flanagan en avait l’habitude.

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JAKE HALE est un professeur titulaire de philosophie aussi connu par ses fans sous le nom de MISS ANGELIKA.

Traduit et relu collectivement par Loren, R., Otto-André Phil, Rétropédale, Max, Loeiz et vana.

  1. Et sinon, il y a le documentaire passionnant Sick: The Life & Death of Bob Flanagan, Supermasochist (1997) de Kirby Dick qui est probablement plus facile à trouver en ligne qu’un hors-série de revue ricaine des années 90. Moi j’ai adoré et je le recommande à toustes les pervers⸱e⸱s. (NDLT, Note De la Lope Traductrice) ↩︎
  2. Jeu d’arcade fantastique de 1986. ↩︎

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